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morale

  • La morale des bateliers

    Les deux bateliers

    Sur un fleuve grossi par les eaux de la pluie,
    Deux bateliers de compagnie
    Conduisaient chacun leur bateau.
    Dans son métier encor novice,
    L'un ne connaissait guère l'eau ;
    Mais l'autre, vieux routier, par un long exercice,
    Avait si bien appris tous les chemins du port,
    Qu'il abordait toujours sans fâcheuse aventure.
    L'un et l'autre allaient bien d'abord ;
    Leur marche était tranquille et sûre,
    Lorsqu'ils virent au loin, élevé sur les eaux,
    Un pont dont il fallait traverser les arceaux.
    Le pas était fort difficile,
    Et demandait un homme habile.
    Notre vieux batelier le sentit, et soudain
    Craignant, pour son novice, un accident tragique
    "Holà ! lui cria-t-il, allons bien, barre en main
    C'est ici le moment critique ;
    Si tu manques le fil de l'eau,
    Je ne réponds pas de ta barque ;
    Et tu pourrais fort bien aller trouver la Parque :
    Il y va de ta peau.
    - Peste ! dit le jeune homme à légère cervelle,
    Vous vous y prenez de bien loin !
    Je crois que vous rêvez : eh ! qu'est-il donc besoin
    De régler déjà notre marche ?
    Lorsque nous serons près de l'arche,
    N'y serons-nous donc pas à temps ?
    - Non, morgué, répondit le vieillard en colère,
    Tout dépend des instants.
    Je connais ce pays, je sais ce qu'il faut faire.
    A ce que je te dis tu peux donc te fier.
    Son avis en effet était fort salutaire,
    Mais notre jeune téméraire
    Le laisse pester et crier ;
    Et sans prendre aucune mesure,
    Au gré des vents, au gré des eaux,
    Il vous laisse voguer sa barque à l'aventure,
    Jusqu'à ce qu'il arrive enfin près des arceaux.
    Alors, menacé de naufrage,
    Il veut exécuter les conseils du vieillard.
    Il fait force de bras, il met tout en usage,
    Mais c'était s'y prendre trop tard.
    Le courant par sa violence
    L'entraîne droit vers l'éperon
    Et pour prix de son imprudence,
    Il passe de sa barque en celle de Caron.
    Dans la carrière de la vie,
    Craignez, enfants, le sort du jeune batelier.
    Quand la route est mauvaise, il faut en dévier :
    Lorsqu'on s'y prend à temps, au mal on remédie
    Et l'on peut l'arrêter
    S'il ne fait que de naître,
    Mais si vous le laissez s'enraciner, peut-être
    Ne pourrez-vous plus le dompter.

    LABBE